Dimanche 29 Janvier 2012

Je rencontre S. dans un café vers 22h30. Elle est juive et me raconte de manière assez touchante une fête religieuse qu'elle a eu l'occasion de partager avant-hier, même si elle n'est pas pratiquante : son cousin de 13 ans dissertait sur un passage de la Tora, en l'occurrence celui de la sortie d'Egypte, avant de laisser place à une grande fête le soir. Sa grand-mère a assisté à la cérémonie mais, perdant la tête, n'a pas su reconnaître sa synagogue de toujours. Elle répond des choses du genre "Ah c'est salé" quand on lui demande l'heure. Les médecins disent qu'elle n'a pas perdu la tête mais simplement qu'elle met les mauvais mots au mauvais endroit.

Et S. de me raconter tout cela de manière très naturelle et avec sa grande chevelure noire et bouclée. Je lui dis cela, elle me dit ceci, la musique va fort mais la lumière est douce et le tiramisu appétissant. 

A chaque coutume sa manière d'orchestrer socialement cet espace entre la naissance et la mort, et si peu de plus. 

Hier nous allons voir, J. et moi, un certain Fabrice Lucchini au théâtre de l'atelier. Je ne le connaissais pas mais à cet aveu tout le monde me regarde avec des yeux ronds - signe de mon inculture télévisuelle, me dit-on. Ce Lucchini en question ouvre son spectacle avec Nietzsche, emprunte Baudelaire qui nous emmène à Céline évoquant le style de La Fontaine. C'est dire ! 

Je me serais accomodé de ces déclamations car il y a fort longtemps que je n'avais entendu ces textes classiques si bien rendus. Cependant il a commencé à faire des allusions politiciennes aux hommes politiques du moment, que j'ai vite trouvées flasques. Reste que l'adjectif qui m'est venu en regardant ce spectacle est "truculent". S. m'a interrogée sur la définition et l'étymologie de ce terme, et nous nous sommes retrouvés pour dire qu'il mêlait dynamisme, amusement et légèreté ; cela reste à vérifier. 


Extrait de "Fragments de monde - tribulations d'un jeune fou", p. 732, § 8

Lundi 30 janvier 2012

Je retrouve D. O. dans le quartier des Halles, aujourd'hui vers 13H. A la faveur d'une soupe de carottes, il me pose cette question familière à ceux qui ont tenté d'apprendre un art : comment faire pour se détacher de ce que l'on a appris tout en le conservant ? Comment atteindre cette perfection où l'on peut en venir à jouer avec les codes eux-mêmes ? Question pleine d'acuité pour un jeune homme sortant de cinq ans d'étude... Maudite version édulcorée du paradoxe de Ménon  : on voudrait avancer dans quelque chose qui n'existe pas mais en même temps on ne peut l'atteindre qu'avec ce qui existe déjà. Brusquement se ramènent à moi pêle-mêle les échaffaudages pour construire un étage de plus à l'infinie tour de Babel, ce conseil donné aux jeunes sociologues de "lire ce qui a déjà été fait sur votre sujet", et cette idée que l'avenir appartient à ceux qui auront compris le passé. Impression aussi d'une question dont il est difficile de faire le tour en quelques lignes et sur laquelle nous aurons donc l'occasion de revenir. 

Alors que nous passons au déssert, D. O. me signale que la cérémonie juive que je décrivais hier s'appelle la "Bar Mitsvah" et il me l'épelle pour que je le note. Mais à ce moment précis, mon ami me raconte après coup que l'homme d'une quarantaire d'années qui faisait office de voisin de table - à Paris les restaurants sont petits et les clients dans une proximité/promiscuité contrainte - se mit à écouter avec bienveillance notre conversation. Peut-être se remémorait-il avec bonheur sa propre "Bar Mitsvah", sorte de futur antérieur du cousin de S. qui l'a faite avant-hier ? 


De source maternelle, assez sûre en la matière et "à qui on ne l'a fait pas", j'apprends que mon usage du mot "truculent" au sujet du spectacle de Lucchini était erroné. Et de fait, le bon Robert me rappelle que le mot vient du latin "truculentus" qui signifie "farouche, cruel", d'où un premier sens qui en découle directement. Malheur de malheur, tant d'études pour arriver à un tel usage de la langue française ! C'est une honte ! Remboursez ! 

Inutile de préciser que la mère en question connaissait "bien sûr" Fabrice Lucchini, qu'elle voit tantôt comme brillant et tantôt comme agaçant, mais au spectacle duquel elle aurait assisté avec plaisir. Au fond, nos parents ne finiront jamais de nous éduquer, même après leur mort. 


Extrait de "Fragments de monde - tribulations d'un jeune fou", p. 733, § 9

Mardi 31 janvier 2012

Et voilà le mois de janvier passé, envolé, dévoré ! 


Je rejoins U. E. vers 15h30 dans le quartier latin où il m'est difficile de parquer mon vélib' en raison d'une grosse manifestation qui occupe le boulevard Saint Michel et une partie du boulevard Saint Germain. Refrains martelés, manifestants barriolés et écharpés, attirail de la lutte amicale : c'est l'éducation nationale qui manifeste contre les suppressions de postes, la "dégradation des services publics", et le mal-être d'enseignants formés à la va-comme-je-te-pousse, mal payés, et surtout non reconnus. On se dit qu'il y a peut-être un problème d'incitation dans la carrière de prof et que l'institution scolaire est traversée de problèmes qui la dépassent, mais enfin ce n'est pas normal qu'on les envoie ainsi au casse-pipe, non vraiment ce n'est pas normal... 

Je parviens tout de même à retrouver U. E. qui commence demain ses concours pour devenir bibliothécaire. France, pays de cocagne et de concours (à suivre). Je lui prodigue les quelques conseils que d'expérience je crois utile en ce genre d'occasion, allume un cierge rêvé à sa réussite et lui prête ma montre pour que la faucheuse du temps, qui talonne tant de candidats, ne lui soit pas fatale. 


En posant le pied hors du cinéma "Les 7 Parnassiens" vers 23h30, j'ai compris au fond de l'air glacial que l'hiver était bien là et qu'il fallait se préparer à quelques jours de grand froid. La remontée à vélo vers mon gueuloir rédactionnel, où j'écris ces lignes bien au chaud, m'a confirmé dans cette impression. Pulls et gants seront donc de rigueur, je vais les sortir de ma malle. Da. Q. m'a accompagné jusqu'à Châtelet avant de bifurquer vers chez lui, et je suis sûr que lui et moi avons pensé la même chose en poussant sur nos pédales, à savoir que nous nous sommes déjà trouvé ensemble dans des contrées bien plus chaudes. 

Je me suis senti assez étranger aux court-métrages africains que j'ai vu ce soir, entre fictions sans tension dramatique et documentaires sans histoire. 


Extrait de "Fragments de monde - tribulations d'un jeune fou", p. 734, § 10

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  • « Je m'appelle Pit, alias Corto Jardenn Bonaventure, j'ai fait beaucoup d'études et puis j'en ai eu marre, alors j'ai fait une pause avant de reprendre - histoire de m'interroger encore un peu. Entreprise ratée ou réussie, je ne sais. Je suis jeune, avec tout ce que ça suppose de parti pris, d'audace, de certitudes absolues, de désarroi, et de ratés. »