Vendredi 10 janvier 2015
Ce soir j'ai vraiment comme un grand/fort besoin de me reprendre : de nettoyer ma chambre, d'écrire dans ces carnets personnels, de mettre au clair mes notes de terrain de manière à y voir plus clair et à poursuivre l'enquête. De faire le point. Ecouter Mnouchkine m'aide à ça parce qu'elle affronte vraiment cette difficulté, celle de la création, de la décision créatrice, et de l'angoisse du vide. Elle insiste aussi sur combien le temps est précieux pour répondre à cela, pour "trouver". Au fond de moi je suis sûr que tous les grands créateurs que j'admire, que je vénère, se sont confrontés avec cette question. La différence est qu'ils se sont accrochés, c'est-à-dire qu'ils se sont installés dans "un train" qui fait que l'écriture (ou la forme créatrice quelle qu'elle soit) devienne, peut-être pas naturelle, mais en tout cas qu'une mécanique, un courant porteur, se mette en place. L'autre jour j'ai senti ça comme un flash, pendant l'enquête avec Paco, j'ai senti que je suis maintenant en position d'innover, de regarder mes matériaux et de dire : "c'est vers là qu'il faut aller, et voilà ce que je vais découvrir, ce vers quoi je vais". Mais pour cela, il faut impérativement que je prenne un peu de retrait, de réflexion. Un besoin d'être "moins collé à l'écran".
Bien sûr, ne sont pas étrangers à ce sentiment : les incidents à Paris (prise d'otage dont je n'arrive pas à me défaire, je ne peux m'empêcher de les suivre "sur le vif"), les tensions avec le paternel, la situation très difficile dans laquelle se trouve le couple Paco/M-C que j'enquête au quotidien, l'espagnol à gérer, les incertitudes sur le mois de février à venir, la rencontre avec l'anthropologue Susana Narotzky qui demande de "se mettre à niveau".
Mardi 6 janvier 2015
Aujourd'hui peiné par un entretien avec Nourredine, qui est dans une situation misérable.
Dans un mois j'ai 28 ans, "joder". Je songe à prendre une dizaine de jours de congé pour "fêter" cela. A suivre, toujours du mal à y voir clair sur mon emploi du temps.
Le soir, bien fatigué d'une journée à 2 entretiens (et pas anodins : avec Carmen, et avec Nouredine, tous les 2 très pauvres) et beaucoup de notes sur mon ordi et alors que je suis pris de divers doutes sur l'enquête mais aussi sur mes capacités à "faire face" aux défis qui m'attendent (parler espagnol, parler anglais, maîtriser la théorique et l'empirique, garder une "oeuvre" en ligne de mire)
Je m'accorde un petit moment "à moi" en écoutant Ariane Mnouchkine. Elle a un côté très rassurrant, une voie très rassurante, qui me berce et me laisser errer à mes pensées. Surtout dans ce moment dans ce tumulte où je dois garder un oeil sur la famille et où il faut me battre pour payer mes financements avec peu de soutien des uns et des autres.
Idée simple mais pas conne de Mnouckhine que le désenchantement des jeunes est source de l'égoisme individuel.
Je me lève pour prendre quelque chose à grignoter pour accompagner ce moment suave, et je vois que Rafa est toujours devant l'ordinateur, apparemment en train de regarder un film. Je le sens très triste de sa rupture amoureuse, de cette non-réussite, avec A. D'une tristesse que moi non plus je ne peux combattre ou laver, que c'est à lui de résoudre. Je le sens comme inévitablement seul dans ce moment. Demain je lui ferai des pâtes et l'inviterai à boire un verre.
Jeudi 1er janvier 2015
Semaine d'arrivée en Espagne, et sentiment de perte au milieu de cette famille espagnole avec qui je passe les fêtes de fin d'année et qui m'accueille avec une générosité et une bienveillance incroyable.
Je me suis senti triste hier, j'en ai discuté avec la fille de la famille qui elle aussi n'était pas au meilleur de sa forme, et nous en avons ri.