Dimanche 2 décembre 2012
Ce soir, en me mettant en route pour l’écriture, j’étais d’une humeur de chien, agacé par la fatigue, par ces logiciels informatiques qui fonctionnent rarement comme on voudrait, et par une cuisse droite qui a manifestement décidé de ne pas dégonfler.
Cette semaine, participé à un chouette séminaire d’anthropologie avec Eric Wittersheim, soulagé une roue en souffrance, et bu un café avec M. W. dans son repère de la rue Claude Bernard - moi très guindé, elle masquant ses incertitudes par une décontraction de façade. Difficile de décrire ce plaisir d’arriver dans un bar pour boire un café, après déjeuner, où l’on jette d’abord un coup d’œil furtif pour voir s’il n’est pas mal fréquenté, avant de s’y engouffrer et de tâter si le serveur est sympathique ou aigri.
Je crois que c’était mercredi, j’ai croisé A. K. à la photocopieuse, j’ai eu l’impression un instant qu’elle cherchait quelque chose, qu’elle avait envie de parler ou quelque chose à me livrer, mais j’étais dans le rush, je ne lui ai pas raconté ce que je faisais, je ne l’ai pas mise dans le coup – salopard, le rush tue. Peut-être lointain ricochet de cet âpre trajet de la veille pour aller en banlieue, à Saint Quentin en Yvelines : des barrières, beaucoup de barrières à n’en plus finir, des pylones avec parfois au-dessus un rai de lumière, des micros, des caméras, des rails, des escaliers, des manteaux noirs, des trains, des flaques.
Formule parisianistique : « désolé, je suis en répèt’ »
Extrait de « Fragments du monde – tribulations d’un jeune fou », p. 1004, §228
Dimanche 9 décembre 2012
Hier soir soirée grande pompe, grande fringue dans un appartement charmeur où régnait un joyeux bazar : il y avait le désordre qui reproduit l’ordre, il y avait du gâteau, il y avait des Sarah pimpantes et des David pour les servir. Il y avait aussi, en début de soirée, la grand-mère qui à 3 heures a dit stop-à-la-musique.
Semaine traversée par l’envie de balader mes yeux lecteurs sur d’autres pages que celles d’arides articles de recherche tout guindés par la rigueur scientifique.
« Préserver l’étonnement et encourager l’humour »
Extrait de « Fragments du monde – tribulations d’un jeune fou », p. 1005, §229
Dimanche 16 décembre 2012
Mardi c’était la dernière séance de l’année civile pour notre séminaire, et nous avons écouté Pierre Pénet sur les agences de notation. Il nous a expliqué de manière très didactique comment les notes de ces dernières étaient peut-être en partie responsables de la crise de 2008. Mais il n’a manifestement pas convaincu quelques spécialistes qui étaient dans la salle et qui lui ont implicitement reproché de ne pas assez parler des rapports de force (Ouvriers/actionnaires, Etats/marchés financiers, Chine/USA…) qui traversent cette question. Ne connaissant rien au sujet, je n’ai pas ouvert la bouche de la soirée.
Extrait de « Fragments du monde – tribulations d’un jeune fou », p. 1006, §230
Dimanche 23 décembre 2012
C’est bientôt Noël et dès jeudi Paris a commencé à se vider comme une gourde trop pleine. J’en ai vu, qui passaient avec leur grosse valise, qui chargeaient la voiture, ou qui quittaient prématurément une réunion en disant qu’ils allaient rater leur train à la gare de Lyon. Tous mes amis sont partis, je me retrouve seul face à moi-même, et je ne sais pas trop ce que ça va donner. J’aperçois d’ici une grande solitude, que j’espère féconde mais que je crains fétide.
Cela faisait des lustres que je n’avais plus acheté des fleurs à offrir, mais vendredi je l’ai fait et je me suis supris à en éprouver un bon plaisir. J’ai failli opté pour les blanches nuageuses, non pas celles-ci, celles-là vers le fond à gauche, avant de me raviser et de prendre les rouges pivoines, le bouquet là-devant s’il-vous-plaît, plus classiques mais plus intenses.
Vu hier à nouveau un film de Jonas Mekas, Lost lost lost, qui m’a moins touché que celui d’il y a quinze jours, Return to Lithuania, où il filme son premier retour dans sa famille en Lithuanie trente ans après son exil aux Etats-Unis à la fin des années 1940. J’y avais vu un je-ne-sais-quoi d’incroyablement touchant, une capacité à saisir l’instant, à décrire sans juger - les gens, leur chaleur, leur sympathie, leurs joies. Mais hier soir son défilé d’images m’est apparu comme la longue lithanie plaintive d’un malheureux exilé.
Vu aussi cette semaine, grâce à Langelot, « Les morutiers » (1966, 20’) de Jean-Daniel Pollet, un film d’une force incroyable sur un bateau de pêche à la morue, avec des marins aux manteaux jaunes, travaillant à mains nues pour remonter un énorme filet poisonneux qu’il vide aussitôt pour le remettre immédiatement en pêche.
Extrait de « Fragments du monde – tribulations d’un jeune fou », p. 1007, §231
Dimanche 30 décembre 2012
Aujourd’hui nous partons en villégiature à Amsterdam. C’est un rêve qui se réalise.
Extrait de « Fragments du monde – tribulations d’un jeune fou », p. 1008, §232